mars 23, 2007

La Bataille de Souk-Ahras

Le 29 Avril 1958, à 7h du matin, le 9e R.C.P. (renforcé par le II/60e RI, 2 compagnies du III/60, le II/153e RIM, l’escadron de chars du 152e RIM, le 4e Groupe du 8e Régiment d’Artillerie et sa batterie de 155) est en opération pour retrouver les quelques dizaines de survivants ayant échappé la veille à son action d’interception mais également pour rechercher une nouvelle bande de 25 HLL bien armés qu’un renseignement d’habitant a signalé de manière assez certaine comme étant passés la nuit dans la région.
C’est alors que commence une journée qui va être marquée par une succession de renseignements de patrouilles et d’habitants, faisant état de franchissements importants et non détectés dans la nuit. Ainsi le barrage est battu dans sa mission essentielle : il ne renseigne plus. Le renseignement devient incertain et parvient tardivement, et de manière fractionnée.
Chaque élément supplémentaire de renseignement provoque l’engagement de nouvelles unités prélevées sur les forces de secteur. Lorsque le degré de probabilité les justifie, ce sont des changements complets dans le dispositif des opérations en cours qu’il faut opérer. On fait appel pour déplacer les unités aux camions du Train, tant que l’urgence ne commande pas de consommer le potentiel des 18 hélicoptères qui ne seront que progressivement amenés à pied d’œuvre dans le courant de la journée. Ces bouleversements « dans le calme » s’accompagnent souvent du déplacement des tubes d’artillerie. Malgré les qualités manœuvrières de ces unités très entraînées, de telles reconversions de fronts se font à un rythme plus lent que celui de l’évolution du renseignement.

Dans le courant de la matinée de ce 29 Avril, les patrouilles signalent six tranchées creusées sous le barrage avec des traces laissant supposer des passages importants. Deux cadavres électrocutés sont relevés, dont l’autopsie révèle une mort entre 5h et 7h du matin. Les passages ont eu lieu à trois kilomètres seulement des lisères de Souk-Ahras, à proximité immédiate de la piste d’aviation qui est située en terrain difficile, au fond de la vallée de la Medjerda. Tous ces renseignements provoquent dans le courant de la matinée un premier retournement de l’ensemble du Groupe Mobile du 9e R.C.P. qui est réengagé à 12h45. Il est encadré par le 14e R.C.P., par le 1er Bataillon du 152e RIM et par un sous-groupement mixte du 26e RIM, par le 153e RIM.
Toutes les unités disponibles dans le secteur de Souk-Ahras sont progressivement engagées et des renforts doivent être acheminés des secteurs voisins de Laverdure, Guelma, Sedrata et Morsott. Les régiments d’infanterie, les 26e , 151e et 153e RIM, le 60e RI et le 3e REI, sont présents avec des détachements allant d’une compagnie à deux bataillons. Les groupements se font et se défont. L’ensemble de l’opération passe aux ordres du colonel Craplet qui se joint sur le terrain au P.C. du 9e RCP.

Sur ces entrefaites, à 14h45, les renseignements se précipitent et annoncent que des éléments amis en opération de fouille à l’ouest du barrage, dans la zone du franchissement, viennent d’être accrochés sévèrement. Les appareils et hélicoptères atterrissant à Souk-Ahras sont tirés du sol dans la dernière partie de leur approche. Il apparaît de manière évidente que le franchissement, s’il s’est passé sous le barrage et sans donner l’alerte, a été très lent. Les détachements de tête et d’avant-garde ont pu prendre du large à la faveur de la nuit, mais le gros a dû rester sur place dans les environs du barrage, camouflé dans un terrain très mouvementé et couvert de buissons.

Il n’y a plus que cinq heures de jour et tout reste à faire. Les unités engagées sont en cours d’opération loin de leurs véhicules et les plus proches de la zone à traiter en sont distantes d’une dizaine de kilomètres. Le seul régiment encore disponible, le 1e REP, est à Guelma et ne pourrait être amené à pied d’œuvre avant plusieurs heures. Les Etats-Majors sont inquiets car l’arrivée de la nuit peut marquer l’échec du barrage. C’est alors que parvient au colonel Buchoud ce message conventionnel en direct du général commandant le secteur de Souk-Ahras : « Je n’ai plus aucun moyen. Je vous passe l’affaire. Prenez l’action à votre compte… » Il est 15h. La seule manœuvre à tenter est de démonter toutes les opérations en cours et de faire affluer au plus vite, sous l’appui, défaut d’artillerie, de l’aviation de chasse, toutes les unités vers la zone occupée par un adversaire dont la force est estimée à plusieurs centaines d’hommes très bien armés. Compagnies et bataillons seront disposés comme la situation le commandera, au moment où ils arriveront.

Le 9e R.C.P. sera engagé en fer de lance, par vagues et héliportages de 12 hélicoptères. Les compagnies reçoivent l’ordre de se regrouper sur des terrains d’atterrissage d’hélicoptères. Les premières prêtes seront les premières embarquées.
La manœuvre est conduite par le colonel Buchoud en personne qui va diriger en Alouette – ses appareils seront touchés trois fois – pendant trois heures durant. Faisant embarquer ses unités et dirigeant le poser sur un terrain d’action qui est bien connu du régiment, il recherchera les points dont l’occupation doit être la clé du succès. Les 1e, 4e, 3e, 2e compagnies du 9e R.C.P. seront ainsi posées successivement en points d’appui dominant.

Mais il se révèle que l’adversaire, contrairement à son habitude, au lieu de se camoufler dans les fonds, a recherché lui aussi les mêmes points forts. Les compagnies du 9e R.C.P., à peine débarquées, ont à manœuvrer sous le feu. Toutes semblent d’en tirer, sauf la 3e Compagnie qui va connaître des heures douloureuses.

Dans la manœuvre de contrôle de cette zone de 20 km² qu’il s’agit de nettoyer, rien n’est possible sans occuper le Djebel Mouadjène, sorte de faîte de toit dominant de plus de 200 m d’altitude les deux ravins de l’oued Dekma au nord et de l’oued Chouk au sud, et cloisonnant tout le terrain au sud. Qui détient le Mouadjène tient la clé de l’ensemble.

C’est la 3e Compagnie qui est posée la première sur ce mouvement de terrain. Le Sergent Lasne ainsi que le Lieutenant Saboureau décrivent ainsi l’action qu’ils ont vécue :

« Après un vol d’une vingtaine de minutes, nous sommes posés sur le Djebel Mouadjène. La végétation est dense, petits arbustes et buissons plus ou moins desséchés. La visibilité est réduite. Le largage est assez mouvementé. Le Capitaine BEAUMONT embarque dans la première rotation des 6 « bananes » (hélicoptères) du GH2 de Sétif, avec la 1e section du Sous-Lieutenant Thierry et sa section de « commandement ».Quelques instants après embarquent dans la première « banane » de la 2e rotation le Lieutenant Saboureau chef de la 2e Section, sa petite « commandement » et une équipe. Suivent dans la 2e, le Sergent Manneville avec le reste de la voltige et dans la 3e, le Sergent Lasne avec le groupe feu. Ensuite, la 3e Section de Chatagno avec Rouchette.

« Les deux premières « bananes » se posent sans encombre, mais la suivante se fait sérieusement accrocher et le reste du largage qui ne peut plus être interrompu, se passe sous un feu nourri. Certains appareils rentreront criblés de balles. Un parachutiste est blessé avant d’avoir sauté. Il sera d’ailleurs de nouveau touché sur le terrain quelques instants plus tard. Nous bondissons vers le Capitaine aperçu au bord de la clairière. Il est debout et essaie « d’accrocher » les appuis avec un SCR 536 (son SCR 300 est déjà détruit). Il serre avec un foulard une blessure au cou qui ruisselle sur sa tenue « J’ai été blessé deux fois, me dit-il » comme un constat sans gravité « Allez dégagez Thierry ! ».

« Le reste de la section n’a pas encore rejoint. Nous pénétrons à quelques-uns dans les fourrés et tombons immédiatement sur des corps de gars de la 1e Section. De grosses grenades à fusil, atterrissent lentement et déchiquètent les arbustes dans une envolée de feuilles et de branches. J’arrive à hauteur de Thierry. Quelques-uns de ses hommes entourent son corps, désorientés par la mort de leur chef. A ce moment-là la densité du feu semble faiblir et permet de reprendre en mains les éléments de la 1e Section encore indemnes et de récupérer le reste de la 2e Section qui a rejoint.

« Que s’est-il passé ? Nous sommes tombés en plein dispositif ennemi. Très supérieurs en nombre, très bien équipés et armés, les fellaghas dissimulés dans les arbousiers ont usé d’un stratagème. Notre habitude de l’emporter sur l’adversaire est telle que lorsque, à quelques mètres, les rebelles se découvrent, vision impressionnante de casquettes kaki et feignent de se rendre les bras levés, nos parachutistes cessent de tirer et se lèvent pour les capturer. A ce moment-là, un coup de sifflet strident déclenche avec une violence extrême des tirs à la cadence très rapide de mitrailleuse MG 42 – excellente arme allemande qui équipe fréquemment l’ALN – qui déciment les nôtres.

« Maintenant entièrement posée, la compagnie, soit environ 90 hommes, est complètement encerclée, ce qui gêne l’aviation. Les combats se déroulent à courte distance, presque au corps à corps, sans liaison entre les sections et avec des initiatives individuelles d’officiers, de sous-officiers et même d’hommes de troupe. Les actes d’héroïsme ne se comptent plus.

« Les rescapés des différentes sections, après avoir ferraillé au corps à corps, se retrouvent sur un espace découvert autour du Capitaine BEAUMONT grièvement blessé à la tête mais continuant, soutenu par son radio, la liaison avec le P.C. Les cadavres jonchent le sol et nous récupérons sur eux les chargeurs qui commencent à faire défaut.

« Le Capitaine BEAUMONT ordonne la percée vers l’oued proche, au sud. Il est tué après avoir donné ses derniers ordres et après avoir demandé par radio un impossible parachutage de munitions. Son radio le Chasseur Desmares, meurt à ses côtés. La fin de la 3e Compagnie approche. Déjà beaucoup sont tombés. Le Sergent Pfender, le Sergent Colle, l’idole de ses hommes qui l’auraient suivi n’importe où et dont la perte est très lourde ; le Sous-Lieutenant Thierry, chef remarquable en même temps que séminariste, au visage enfantin, l’anti-thèse du para tel qu’il est souvent présenté par certains ; le 2e Classe Briswalter, fustigeant ses camarades et ne voulant pas céder un pouce de terrain, le Caporal Andrejak qui, avant de mourir, cache son canon de 57 dans les buissons, le 2e Classe Rioton, tireur au fusil-mitrailleur, tué à sa pièce au moment où il protégeait le regroupement de la compagnie ; beaucoup d’autres encore dont les noms ne peuvent tous être cités ici.

« A la tombée de la nuit, quand tout le bouclage est en place, le Colonel Buchoud demande aux survivants regroupés d’aller chercher le corps du Capitaine resté sur le terrain : « Les parachutistes n’abandonnent pas le corps de leur chef. Nous allons ensemble chercher votre Capitaine ». Tous ces hommes, qui viennent de s’en tirer miraculeusement, repartent sans hésiter derrière le Colonel. Mais la nuit et le nombre d’unités sur le terrain empêchent l’opération de se poursuivre. A ce moment-là le Capitaine GUEGUEN qui vient de s’installer appelle le Colonel : « Je suis près de BEAUMONT, sa main est dans la mienne et je l’ai interrogé « BEAUMONT veux-tu rester ta dernière nuit sur le terrain en soldat avec tes camarades ou préfères-tu la passer à la morgue de Souk-Ahras ? », j’ai cru l’entendre répondre qu’il préférait être avec nous ».

La manœuvre convergent de la 2e Compagnie du 9e R.C.P. (Capitaine Gueguen) renforcée par la 1e Compagnie du 1e REP (Capitaine Glasser) qui vient directement de la Guelma, force aux prix de pertes assez sévères l’encerclement de la 3. Participent à l’action : l’escadron du 152e RIM (Capitaine Collomb) qui arrive le long de la crête, de toute la vitesse de ses chars ; la 4e Compagnie du 9e R.C.P. (Lieutenant Lefur) qui, sur écoute radio, vole au secours de la compagnie accrochée ; et l’unité du Lieutenant Clémencin qui monte au feu en venant du poste de la Tuilerie, dans l’oued Chouk. Les survivants de la 3e Compagnie peuvent ainsi se dégager.

Il est 18h. La 3e Compagnie vient de perdre 28 hommes ; elle compte également 28 blessés.

Mais dans la zone intéressée, l’adversaire est fixé. Il est sous notre feu. Tout mouvement lui est interdit. L’affaire n’est pas terminée pour autant. Il ne reste que deux heures de jour durant lesquelles un bouclage serré et sans failles devra être mis en place pour briser toutes les tentatives de fuite.

Le seul plan qui s’impose est de fermer la zone à l’est par le barrage électrifié, en le faisant surveiller par des patrouilles mobiles blindées, et de continuer le bouclage au nord et à l’ouest par un cordon d’unités disposés tout le long de la route de Souk-Ahras à Sédrata, soit 10 à 15 Kms qu’il faut tenir pour envelopper suffisamment le terrain. Au sud, sur le Mouadjène, la nasse sera fermée en tous terrains par les unités (deux compagnies du 9e R.C.P., le 14e RCP, le I/152e) maintenues sur place en fin de journée.

Le Général Vanuxem est sur le terrain et assume le commandement de l’ensemble. Les unités affluant de toutes parts sont placées en bouclage au fur et à mesure de leur arrivée. Six bataillons d’infanterie, trois régiments de parachutistes, la valeur d’un groupe blindé, soit plus de trente compagnies ou escadrons, prendront place au coude à coude dans ce dispositif d’interception de nuit.
A 20h, cependant, aux approches de la nuit, un trou de plusieurs kilomètres est béant. Le 1e REP qui est en route, venant de Guelma doit l’occuper. L’échec peut venir de cette brèche qu’il faut colmater d’urgence. C’est là que se situe le stratagème du 9e R.C.P. Le Colonel Buchoud fait disposer tous les véhicules vides de son régiment (150 jeeps, camionnettes, camions) à intervalles de 20 à 30 mètres. Chaque véhicule, défendu par un seul chauffeur, l’arme à la main, a les phares allumés et tournés vers le terrain à surveiller. La chance est de notre côté la nuit est claire.

Le Général Vanuxem fait compléter ce plan de feu lumineux par des projecteurs de DCA qu’il a fait venir de Bône et qui sont mis en batterie sur une hauteur pour éclairer les fonds et interdire tout mouvement. A 21h, le bouclage est en place. Il va se révéler efficace puisque, dans la nuit, six tentatives de franchissement seront repoussées.

La fin de l’affaire est simple. Au lever de la journée du 30 Avril, jour de fête pour la Légion, honneur devait être laissé au 1e REP qui, encadré de quelques unités, a serré la nasse comme un point se ferme et pressé l’adversaire sur le barrage électrifié infranchissable, où il le détruira.

En fin de journée, les pertes rebelles se chiffraient par 257 tués et 11 prisonniers, tandis que 10 mitrailleuses, 11 FM, un mortier, 4 armes anti-chars et 265 armes individuelles étaient récupérées.

Le coup est très dur pour l’ALN et tout semble terminé. Mais, aussi insensé que cela puisse paraître, le lendemain, 1e Mai, dans la nuit, une nouvelle bande franchit le barrage au même endroit que l’avant-veille. La riposte est immédiate et confiée au 2e REP qui est arrivé de Philippeville en renfort. En fin de journée, le FLN a perdu de nouveau 80 hommes et laissé 7 armes automatiques et 40 armes individuelles.

Le 3 Mai enfin, dernier acte. Un renseignement signale que des unités rebelles, ayant échappé à nos actions, se sont réfugiées dans les mines du Nador. Une action est montée par le Colonel Buchoud à Souk-Ahras et confiée aux 14e et 18e RCP. En fin de journée, l’ALN laisse sur le terrain 90 des siens avec 57 armes.

Ainsi en 6 jours, du 28 Avril au 3 Mai, ce sont 620 combattants que le FLN a perdus tandis que 484 armes de guerre étaient récupérées par nos troupes. L’ALN ne tentera plus aucun passage. Le barrage est étanche : mission remplie.

Cette victoire d’une ampleur unique dans la guerre d’Algérie aura été acquise aux prix des sacrifices du 9e R.C.P., qui perdait le Capitaine BEAUMONT et 32 de ses hommes, tandis que 40 autres avaient été blessés. Le régiment avait seul assumé la charge pendant quelques heures, de tout l’enjeu de cette phase de la guerre. Ses qualités manœuvrières et la vaillance de ses hommes avaient permis aux communiqués de la fin de la journée du 29 d’annoncer que le pari était gagné. Le 9e R.C.P., régiment du contingent, avait répondu à la confiance que le commandement lui avait faite.

Grâce aux sacrifice de ses hommes la mission du Régiment était remplie, les rebelles anéantis, et la bataille devenait : la victoire de Souk-Ahras.

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